Témoignage d’une médecin généraliste en milieu rural sur un parcours de fin de vie douloureux cependant sublimé par la relation soignant.es/soigné.es/aidant.es. Le rapport à la mort et la vie y est questionné, l’accompagnement d’une fin de vie à domicile également. Ainsi que les moyens à disposition dans un pays en proie à une désertification médicale inédite, en tenant compte de la place des aidants au statut bien précaire.
Cet article évoque aussi l’empathie développée par les soignant.es lors de leurs rencontres avec leurs patient.es, empathie plus que nécessaire pour préserver des relations humaines dans une société de plus en plus technicisée. S’agit-il d’un rappel à notre condition humaine ou bien à notre devoir d’humanité vis-à -vis de nos semblables ?
Pourquoi avoir choisi d’exercer en zone rurale sur le plateau de Millevaches ?
J’ai longtemps cherché où et comment exercer mon métier. Après avoir exercé en libéral, en milieu hospitalier, en milieu urbain, rural et dans les îles, j’ai finalement atterri sur le plateau de Millevaches. Je suis tombée amoureuse de ce territoire de Haute-Corrèze, magnifique quelle que soit la saison. Et j’ai eu un coup de cœur pour une équipe tout simplement incroyable ! Dans cette équipe dénommée « Millesoins » et les professionnels de la CPTS* Haute Corrèze Ventadour, il y a une volonté de travailler en pluridisciplinarité. Chaque professionnel·le qu’i·el soit médecin, infirmier·e, pharmacien·ne, assistant·e social·e, kiné, dentiste a sa place et son mot à dire. Il y a la volonté de pratiquer une médecine restant « humaine » pour les patient·es malgré le contexte de désertification médicale et la diminution des effectifs. Une volonté de travailler avec des outils innovants et facilitant le travail d’équipe, tout cela avec une solidarité et une attention apportée aux un·es et aux autres. Et surtout, il y a la volonté d’œuvrer vers un système de santé autrement plus vertueux : vers plus de préventif et moins de curatif, vers une véritable promotion de la santé.
*CPTS = Communauté Professionnelle Territoriale de Santé
Vous êtes investie sur le sujet de la santé environnementale, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
La santé environnementale et les concepts « Onehealth » ou de « Santé planétaire » ont été une révélation pour moi. Ces concepts font le lien entre d’un côté : les conséquences des activités humaines sur les écosystèmes (dérèglement climatique, effondrement de la biodiversité, conflits géopolitiques actuels et à venir devant l’amenuisement des ressources énergétiques ou en eau, etc.) Et d’un autre côté, le lien avec les patient·es que l’on soigne au quotidien atteint·es de « maladies chroniques non transmissible » causées par ce à quoi la société nous expose : tabac, alcool, alimentation trop riche en graisse, en sucre, exposition aux écrans, sédentarité, conditions de travail inappropriées, pollution de l’air, de l’eau, exposition aux pesticides et perturbateurs endocriniens etc. Sans compter les maladies infectieuses directement liées aux écosystèmes perturbés par nos propres activités humaines !
Soigner des patient·es sans se questionner sur notre environnement n’a pour moi plus aucun sens car tout est lié. La santé planétaire, c’est au final considérer la santé des humains – nos patient·es – tout en considérant la santé animale – des animaux qui nous nourrissent à ceux qui assurent un maintien des écosystèmes. Cela tout en considérant la santé des environnements dans lesquels nous vivons et nous permettent de subvenir à nos besoins, à l’échelle mondiale et pas seulement de la France ou de l’Europe.
Il y a là une nécessaire et sinon indispensable prise de conscience pour évoluer dans un monde soutenable pour les générations futures.
Quel est votre regard sur le sujet des « aidants » sur votre territoire et quelles actions vous semblent nécessaires pour les soutenir ?
Le plateau de Millevaches fourmille d’initiatives dans le domaine de l’aidance. Cela ouvre la porte à la santé communautaire où les usagers s’organisent et prennent en main leur santé et celle de leurs proches. Mais cela ne suffit pas. Il faut des moyens humains et financiers conséquents pour permettre à des familles de continuer à soigner leurs proches dignement dans les situation de handicap ou de maladie. Les moyens actuels me semblent encore bien insuffisants et entraînent souvent des situations de surmenage délétères pour les aidant·es.
Ne pas reconnaître ces personnes ni leurs actions au quotidien pour leurs proches est l’un des « symptômes » de notre société occidentale malade dans sa quête de croissance infinie. Il y a là un combat féministe selon moi puisque la grande majorité des aidant·es sont des femmes. Je crois que l’on touche à l’éco-féminisme au final 😉 J’aime à penser que cela nous aidera à affronter les défis sociaux, sanitaires et environnementaux à venir.
Pouvez-vous nous livrer un témoignage de votre activité ?
Oui, avec plaisir. J’ai écrit un article sur une situation de fin de vie qui m’avait beaucoup touchée et qui me touche encore. Je l’ai écrit car j’ai eu envie de sublimer ce qui effraie tant de personnes et qui pourtant nous touchera tous·tes un jour ou l’autre. Peut-être pour « réveiller » notre conscience avant qu’il ne soit trop tard et faire de notre vie un instant sur cette terre dont nos enfants seront fiers.
Pour lire en entier cet article: https://www.la-petite-hirondelle.fr/laurence/
Et nous retenons particulièrement les passages suivants : « Avec une douce confiance dans le processus – inéluctable – de l’aider à partir paisiblement vers un espace inconnu et effrayant pour tant de gens. Je le lui avais promis intérieurement, je ne sais pas pourquoi. Sans doute pour me déculpabiliser de lui avoir fait une annonce aussi cruelle de sa maladie. Peut-être aussi par fascination pour cette expérience de vie que chacun de nous vivra un jour. Si étrange, et si terrifiante. Et pourtant si universelle. »
(…)
« Dans ces moments-là j’ai apprécié le fait d’être une professionnelle « libre » de par mon statut de libérale. En effet, je n’avais aucun compte à rendre si ce n’était à la sécurité sociale, le conseil de l’Ordre des médecins ou l’Agence Régionale de Santé. J’étais ainsi libre de pouvoir organiser mon planning pour aller la voir lorsque la situation le nécessitait. Libre d’y consacrer le temps que je souhaitais. »
(…)
« Notre société nous a fait nous éloigner de la fin de vie et de la mort. En effet, la plupart des décès ont lieu à l’hôpital ou en EHPAD/maison de retraite. Nous ne sommes alors plus habitué.es à la côtoyer. Même nous, soignantꞏes en avons peur puisque nous cherchons toujours à la retarder le plus possible. Mais pourquoi en avoir si peur ? Elle est pourtant naturelle et surtout universelle [10]. De même que le fait d’accompagner ses proches les derniers mois de leur vie devrait nous sembler naturel ? Au même titre que la préparation à la naissance de nos enfants ? »
Pour aller encore plus loin :
https://fondsdedotationasi.com/nous-soutenir/
*ANPF : Association Nationale de Prévoyance Familiale qui a, en plus de 30 ans, accompagné des personnes dans la gestion de leur complémentaire santé. L’ANPF fonde l’ASI en 2020 pour accroître son engagement social et sociétal.