De nos jours, nul ne peut douter de l’essor des techniques psychocorporelles, parmi lesquelles la danse-thérapie trouve tout à fait sa place dans le traitement de différents troubles et maladies. La danse-thérapie est l’une des quatre grandes disciplines de l’art-thérapie et constitue un précieux outil thérapeutique.
L’Américan Dance Therapy Association (ADTA) lui donne pour définition « l’utilisation psychothérapeutique du mouvement en tant que processus pour aider un individu à retrouver sa propre unité psychocorporelle ».
L’objectif est ainsi d’améliorer la santé mentale et physique d’un individu par le mouvement, en faisant de son corps un véritable allié en faveur de son expression personnelle, tout en développant sa flexibilité, son équilibre ou encore sa confiance. Elle est également recommandée dans le traitement de différentes maladies neurodégénératives, cancers, dépressions, etc. Un rapport de l’OMS de 2019 étudiant le lien entre la santé et les arts, a placé la danse comme véritable traitement notamment dans le cas de la maladie de Parkinson. Malgré tout, les études sur ce point sont encore très peu nombreuses et l'utilisation reste pour l’instant timide, comparé à ses bénéfices.
« La vie est mouvement, la danse universelle. Thérapeutique dans son essence, elle convoque la partie sensible, vivante en chacun de nous. Cette partie désirable et aimable qui fait rayonner avec grâce notre réelle beauté. Notre corps crée de la pensée et la danse est son langage ». Dominique Hautreux, danse-thérapeute et psychologue clinicienne.
Tony De Sa Domingues, art-thérapeute exerçant en Haute-Savoie au sein de structures (cliniques, centres médicaux-sociaux) ainsi que Sheherazade Boyer-Tami, danse-thérapeute et directrice générale de l’Institut Rafaël, partagent leur regard et leur expérience professionnelle sur la danse-thérapie :
Quelle serait votre propre définition de la danse-thérapie ?
- Tony De Sa Domingues : Pour moi, la danse-thérapie renvoie à « comment je me réapproprie mon corps à travers le mouvement et comment je me permets de mettre en mouvement ce que je n’exprime pas particulièrement par des mots ». Catherine Potel, célèbre psychomotricienne et autrice, évoque très bien que l’on a chacun en nous, dès le plus jeune âge, la capacité à danser mais on finit par la perdre pour différentes raisons comme les codes sociaux. On a tous en nous un enfant qui sait danser. Finalement, la danse-thérapie vient réveiller cette aptitude innée.
- Sheherazade Boyer-Tami : Il est intéressant de revenir sur ces deux termes, « danse » et « thérapie » qui, associés, surprennent alors même que séparément leur sens se comprend aisément. Il existe aujourd’hui de nombreuses définitions très claires mais ce que j’aime rappeler par dessus tout c’est que la danse est une pratique universelle que l’Homme a toujours connu et qui a toujours été utilisée de façon naturelle et innée. La danse est d’abord née d’un besoin de communiquer et d’entrer en relation avec l’autre. Elle a ensuite été utilisée dans la sphère thérapeutique mais avec un certain retard et dans un premier temps comme outil de communication dans des cas de troubles autistiques. Elle s’est ensuite généralisée. J’aime rappeler ce que n’est pas la danse thérapie : ce n’est pas un cours de danse, ce n’est pas l’apprentissage d’une chorégraphie. À l’Institut Rafaël, on aime définir la danse-thérapie comme « une thérapie non médicamenteuse pour passer d’un corps qui semble trahir à l’expérience d’un corps partenaire ».
Qu’est-ce que permet de travailler la danse-thérapie ?
- Tony De Sa Domingues : Selon moi, le terme « thérapie » est insidieux, l’intention première n’est pas vraiment la dimension thérapeutique mais la mise en mouvement, et, grâce à elle, différents points sont travaillés. La confiance en soi, l’image corporelle, l’estime de soi, mais également la place dans le groupe, le lien à l’autre et avec soi. C’est aussi l’écoute, l’empathie, la réflexion sur ses limites et leur expression. Enfin, ce peut-être une façon détournée de travailler l’inclusion, l’acceptation de l’autre et de lever les stigmates. L’avantage de travailler avec le corps c’est qu’il ne triche pas. Il y a une différence entre le début et la fin de la séance : le corps s’ouvre, les bras ne sont plus croisés, le regard est à hauteur humaine et non tourné vers le bas. C’est frappant. Souvent c’est une révélation pour les personnes, la danse leur donne accès à une partie peut-être peu alimentée et vivante d’elles-mêmes. C’est un ensemble d’expérimentations par le corps qui peuvent potentiellement se transposer à d’autres situations. Si on lâche la volonté de résultat, on vient apaiser et transformer ses maux.
- Sheherazade Boyer-Tami : La danse-thérapie permet la création d’un geste qui représente quelque chose de soi. En effet, elle met en avant des gestes qui ne laissent pas de trace mais plutôt une impression de soi qu’on vient ensuite interroger. Le moi danseur agit et crée, sans la maladie, cela lui permet de prendre conscience de sa capacité d’action et de créativité. C’est à ce moment-là que vient l’aspect thérapeutique. En médecine intégrative (la médecine intégrative associe les traitements médicaux conventionnels à des pratiques complémentaires validées scientifiquement, en adoptant une approche centrée sur le patient et une vision pluridisciplinaire), la danse-thérapie est recommandée par les coordinatrices et les médecins pour améliorer l’image de soi, pour apaiser anxiété et sentiment d’isolement et enfin pour lutter contre la fatigue et réactiver l’élan vital de la personne. En effet, dans le cas des femmes touchées par le cancer du sein, la chimiothérapie rend très difficile le rapport au corps ; l’image est mise à rude épreuve en raison des effets indésirables du traitement. L’idée à travers la pratique de la danse-thérapie est de se rapprocher du corps et de se le réapproprier. C’est absolument nécessaire pour accéder à toutes ses ressources et cela permet une meilleure adhésion au traitement.
L’effet est psychologique mais également physiologique puisque la libération d’un certain nombre d’hormones (endorphine, dopamine, sérotonine…) vient minimiser les impacts négatifs de l’état pathologique de la personne. L’Institut Rafael a réalisé des études mettant en avant des effets remarquables après le parcours de soin personnalisé,
La danse-thérapie est-elle accessible à tous ? Y a-t-il un profil type ?
- Tony De Sa Domingues : Il n’y a pas de profil type, la danse-thérapie est accessible à tous puisque nous avons tous cette aptitude innée. Cela peut être plus complexe peut-être dans des pathologies psychiatriques comme la schizophrénie, là où l’enveloppe corporelle est difficile à ressentir.
- Sheherazade Boyer-Tami : J’identifie deux types de profil : D’abord un public qui va bien mais qui souhaite aller mieux : dans ce cas on entre dans le champ du développement personnel et même de la prévention : comment préserver sa santé grâce à la danse-thérapie. Le deuxième public concerne des patients touchés par des pathologies, chroniques ou non, des maladies mentales (dépressions, addictions…) mais également des personnes touchées par des problématiques de mobilité comme la maladie de Parkinson. Notons que pour les personnes touchées par le cancer et les maladies chroniques, la prescription est moins évidente en France contrairement à d’autres pays comme les USA. L'institut Rafael est précurseur en la matière.
Est-ce qu’une fréquence particulière est préconisée ?
- Tony De Sa Domingues : Il n’y a pas de réponse ferme et définitive. Tout dépend du cadre, si l’on pratique à l’extérieur ou dans une clinique. Le mieux reste tout de même de faire plusieurs séances pour sentir des effets positifs à long terme. En même temps, dès la première séance il est possible d’en ressentir tous les bénéfices, cela parce que la danse est opérante au quotidien au-delà d’une séance d’art-thérapie.
- Sheherazade Boyer-Tami : Bien que des effets positifs se constatent après une seule séance, à l’Institut on préconise un cycle de six séances, une fois par semaine, qui viennent appuyer l’objectif thérapeutique fixé lors d’un entretien préalable. Au-delà de la fréquence, on prend garde à organiser la séance en trois temps distincts : un temps de relaxation puis un temps de mise en mouvement et de création et enfin un retour à soi et la mise en mots de la séance.